NiQiu demanda à BiYi de lui expliquer le Dao.  
BiYi lui dit : "Redressez votre corps et unifiez vos regards, l'harmonie céleste descendra en vous ; refrénez votre  intelligence et rectifiez votre attitude, l'esprit transcendant  vous fera visite. La vertu vous embellira ; le Dao habitera en  vous. Vos pupilles ressembleront à celles du veau qui vient de naitre ; vous ne vous réfèrerez plus aux coutumes de ce monde."  
BiYi n'avait pas fini de parler que NiQiu se trouva profondément  endormi. Très content, BiYi le quitta en chantant en vers : 
"Son corps est comme le bois mort ; Son cœur comme la cendre éteinte.  
Vraie est sa connaissance solide ; il se détache de toute connaissance acquise.  
Ignorant et obscur, il n'a plus de pensées, On ne peut plus discuter avec lui.  
Quel homme."  
Zhuang zi 
- Le Loup et le Chien -
Un Loup n’avait que les os et la peau,
Tant les Chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau ;
Gras, poli, qui s’était fourvoyé par mégarde.
L’attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l’eût fait volontiers.
Mais il fallait livrer bataille ;
Et le Mâtin était de taille
À se défendre hardiment.
Le Loup donc l’aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint qu’il admire :
Il ne tiendra qu’à vous, beau Sire,
D’être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, hères et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? Rien d’assuré ; point de franche lippée ;
Tout à la pointe de l’épée.
Suivez-moi ; vous aurez bien un meilleur destin.
Le Loup reprit : Que me faudra-t-il faire ?
Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens
Portants bâtons et mendiants ;
Flatter ceux du logis ; à son Maître complaire ;
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons ;
Os de poulets, os de pigeons :
Sans parler de mainte caresse.
Le Loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant il vit le col du Chien pelé.
Qu’est-ce là, lui dit-il ? Rien. Quoi rien ? Peu de chose.
Mais encor ? Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
Attaché ? Dit le Loup, vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? Pas toujours ; mais qu’importe ?
Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte ;
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor.
Cela dit, Maître Loup s’enfuit, et court encore.
Jean de la Fontaine
- Le Chêne et le Roseau -
Le Chêne un jour dit au Roseau :
Vous avez bien sujet d’accuser la Nature.
Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau.
Le moindre vent qui d’aventure
Fait rider la face de l’eau
Vous oblige à baisser la tête :
Cependant, que mon front au Caucase pareil,
Non content d’arrêter les rayons du Soleil,
Brave l’effort de la tempête.
Tout vous est Aquilon ; tout me semble Zéphyr.
Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage ;
Vous n’auriez pas tant à souffrir ;
Je vous défendrais de l’orage :
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des Royaumes du vent.
La Nature envers vous me semble bien injuste.
Votre compassion, lui répondit l’Arbuste,
Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci.
Les vents me sont moins qu’à vous redoutables.
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos :
Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots,
Du bout de l’horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût porté jusque-là dans ses flancs.
L’Arbre tient bon, le Roseau plie ;
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu’il déracine
Celui de qui la tête au Ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l’Empire des Morts.              
Jean de la Fontaine 
 - L'eau qui rend fou - Conte Soufi                                                                                                                                    
Autrefois, il y a très longtemps, un sage inspiré lança à l'humanité un avertissement terrible. À une certaine date toute l'eau de la terre allait disparaître et serait remplacée par une eau nouvelle qui rendrait tous les hommes fous, car ceux qui en boiraient auraient l'illusion d'être intelligents et conscients de tout ce qui se passait alors qu'ils vivraient en réalité dans une sorte de rêve. C'était sans retour ... à moins de préparer avec le plus grand soin des réserves … à moins de ménager les ressources et de se montrer bienveillant avec notre mère la Terre … mais les hommes étant ce qu'ils sont … un seul homme suivit cet avis et rassembla une grande quantité d'eau qu'il mit quelque part en réserve dans un endroit connu de lui seul ... Lorsque le jour annoncé arriva, les cours d'eau cessèrent de couler, les puits se tarirent, toute la terre se dessécha. 
L'homme prévoyant entreprit de vivre dans sa retraite, buvant son eau sauvegardée tout en regrettant que personne ne se soit joint à lui. Il était seul, car personne n'avait voulu se joindre à lui pour faire des réserves. Il y avait assez d'eau pour abreuver 100 personnes pendant 100 ans au moins, mais et personne ne l'avait suivi. Tous les autres attendaient la pluie qui ne tarderait pas à venir sans se soucier de ce qui avait été annoncé. Effectivement, après une terrible sécheresse, l'eau nouvelle tomba du ciel, les ruisseaux et les puits se remplirent. Le lendemain, tous les habitants de la ville, excepté l'homme prévoyant, burent de l'eau du puits... et devinrent tous fous. 
Au bout de quelques jours, lassé de sa solitude, notre ermite buveur d'eau pure quitta son abri et revint parmi ses semblables. Il les trouva totalement changés : ils tenaient des discours étranges, accomplissaient des gestes totalement différents qui lui paraissait dénués de sens. Ils avaient oublié ce qui s'était passé et ne se souvenait même pas de l’avertissement. 
L'homme qui avait gardé toute sa raison essaya de leur parler, de leur expliquer les dangers d'une eau qu'ils croyaient potable, mais les rendait sans discernement, mais ils le prirent pour un fou. Certains lui témoignèrent de la compassion, d'autres se moquèrent, et beaucoup lui montrèrent de l'hostilité. Pour tous il était devenu incompréhensible, bizarre, dérangé, un doux dingue, un fou et même un fou dangereux, car subversif.… Ses concitoyens le regardaient avec un air toujours plus méfiant et cherchaient manifestement à éviter sa présence. Puis un jour l’un d’eux le prit à partie : - Nous avons remarqué ces derniers jours que ton comportement était devenu bien étrange ! Tu dis des choses incompréhensibles, tu fais peur à tout le monde avec tes histoires d'eau qui rend fou, bref nous pensons que c'est toi qui es devenu fou. Nous ne voulons pas d'un dément qui nous dicte quoi penser et nous allons malheureusement devoir t’enfermer ! 
Voilà l'homme sain d'esprit et de corps, mis en quarantaine, fait prisonnier dans sa propre maison, prisonnier de lui-même en raison de sa différence. Assez vite la solitude lui devint très difficile à supporter, comme sa singularité, car il était à nul autre pareil et en raison de sa différence, rejeté par tous. Il se prit à douter de son choix, à craindre la solitude, car comment pourrait-il espérer avoir une famille, une descendance : quel père serait assez fou pour donner sa fille en mariage à un fou ? S'il voulait garder toute sa lucidité il lui faudrait choisir l'isolement et oublier le monde grossier des sens occupé par ces fourmis humaines agitées … Il aurait pu choisir d'oublier l'opinion de ses frères et voisins, oublier les illusions, les polémiques. Et en s'exerçant à la paix de l'esprit, à la douceur, oublier la différence entre lui et les autres… mais il n'a pas pu. 
Peut-on avoir raison seul contre tous ? On a bien essayé de le soigner, mais tant qu'il avala les médicaments conseillés avec l'eau préservée, il resta lui-même. Puis, un soir, lassé de cette résistance désespérée, il céda au découragement et perdit la raison : il fit remplir un gobelet de l'eau du puits. Il en but une grande gorgée. Il oublia jusqu'à l’endroit où il gardait sa provision d'eau. Le peuple de la ville se réjouit et organisa de grandes fêtes : l'homme était guéri de sa folie, de son idée fixe, de son obsession d'eau pure, d'eau polluée, d'eau qui rend fou : il était maintenant revenu à la raison et se comportait comme tout le monde. Tout semblait aller pour le mieux... 
Conte Soufi